Outdoor Adventure

Démarche artistique

L'Art du feu

Michel Hindenoch nous dit que conter est un véritable « Art du Feu ».

Ce n’est pas pour rien que, de tout temps et en tous lieux, les contes se sont faits de nuit, autour d’un feu… En effet, le feu est à la fois lumière et chaleur. Une lumière qui éclaire, une chaleur qui apaise. Mais surtout, le feu, c’est la lumière et la chaleur vivantes. Il s’entretient, se transporte, se transmet, et il en va de même des contes. Lorsque je réveille un conte traditionnel, je ne prétends pas faire autre chose que de souffler sur les cendres d’un ancien foyer pour rallumer la flamme, m’y chauffer, et inviter tout ceux qui veulent à s’installer autour.

Mon travail consiste donc avant tout à raviver la flamme. Je ne crée pas les feux: je les rallume.

Ainsi, bien loin d’avoir une approche intellectuelle des contes, au lieu de chercher, à travers diverses versions, le « véritable conte originel », si tant est qu’il existe, j’ai plutôt choisi de développer ma sensibilité, afin d’être en mesure de pouvoir cerner, à travers toute version, aussi dénaturée soit-elle, les éléments traditionnels qu’elle contient. Parfois, bien sûr, ces éléments restent trop sporadiques pour en faire quoi que ce soit: les cendres sont dispersées, et il m’est impossible de raviver ce feu. Mais parfois, je me retrouve en face d’un foyer qui peut se rallumer. Alors je souffle; je souffle sur les braises, et puis j’amène du bois, du bois, et lorsque la flamme est bien belle, et de nouveau puissante; lorsqu’elle éclaire suffisamment et réchauffe à nouveau, j’invite le public à s’installer autour.

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« L’Art de conter est un art du feu »

 Michel  Hindenoch, L’art de conter, ed Le jardin des mots

RACONTER EN MUSIQUE

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La musique habite tous mes contes, aussi bien avec ses sons qu’avec ses silences; elle rythme l’histoire, crée un paysage sonore, véhicule du rêve, ne ne serait-ce que par l’aspect des divers instruments qui en sont le support.

Le merlin

Le koshi

Le merlin est un instrument à cordes canadien cousin du Dulcimer. Fabriqué en acajou, un bois tendre et résistant, avec une caisse de résonnance en épinette et une table d’harmonie en érable (bois durs), son manche, fretté de sept cases et composé de quatre cordes métalliques, dont une qui est doublée à la chanterelle, en fait un instrument diatonique idéal pour l’improvisation.

Malgré sa petite caisse de résonnance, le Merlin déploie un son qui peut couvrir la voix du conteur. Mais un accordage particulier et une corde retirée à la chanterelle me permet d’en tirer une sonorité plus douce qu’à l’ordinaire, ce qui en fait un instrument idéal pour créer un paysage sonore et rythmer de façon dynamique certains moments de l’histoire.

Le Koshi est instrument de musique aléatoire fonctionnant sur une gamme pentatonique et composé de huit tiges d’acier et d’un cylindre en hêtre (bois dur) faisant office de caisse de résonnance. Ce carillon éolien est très utilisé  en musicothérapie pour les vertus relaxantes de ses sonorités aériennes.

On en tire un son cristallin qui appelle au rêve et qui est d’une certaine discrétion, ce qui oblige le public à tendre l’oreille et à renforcer son attention. Dans mes contes, il est principalement utilisé pour des passages mystérieux, le plus souvent liés à l’apparition du Merveilleux.

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LE Mélodica

Le charango

Instrument relativement récent (deuxième partie du XXème siècle), le mélodica est, pourrait-on dire, un « piano à vent », ou un « harmonica à clavier ». Instrument polyphonique et harmonique à anches libres, il produit un son qui se rapproche de celui généré par l’accordéon et l’harmonica.

Dans mes contes, il est utilisé pour faire des passages musicaux de transitions, et est le plus souvent joué à deux mains, contrairement à l’usage pour lequel il est prévu initialement.

Le charango est un petit instrument à corde originaire des Andes, voisin du Ronroco. La forme particulière de sa caisse de résonnance rappelle celles d’autrefois qui étaient faites à partir de carapaces de tatou. Issu d’un métissage de culture entre les peuples autochtones et les colons espagnols, il est attesté dès le XVIIIème siècle et s’inspire visiblement du luth et de la mandoline. En effet, il est composé de cinq cordes et chacune est  doublée (soit dix cordes au total). La particularité étant que la troisième corde est doublée à l’octave. Il est composé d’un mélange de bois tendres (Naranjillo, Jacaranda, pin blanc…) et de cordes en nylon noir.

Le Charango est un instrument d’accompagnement. Dans mes contes, il rempli une fonction semblable à celle du Merlin, en ce sens qu’il peut à lui seul accompagner un conte entier. Il a cependant l’avantage d’être un instrument chromatique et d’avoir donc une plus large palette d’expression musicale. Son son peut être puissant et, là encore, il faut user d’astuces pour le faire passer à l’arrière-plan, derrière la voix du conteur. Je l’utilise en arpèges, en picking, en brossé ou encore avec des techniques de Flamenco comme le Rasgueado.

le piano

La guitare

Le piano est un instrument à cordes frappées, contrairement au clavecin (cordes pincées) ou à l’orgue (qui est un instrument à vent) et desquels on le rapproche souvent à cause de son clavier, bien que le son obtenu et le principe de sa production diffèrent grandement. Le piano ci-dessus est un Burger et Jacobi de 1940 (en Europe, seule la Suisse fabriquait encore des piano pendant la Seconde Guerre Mondiale), restauré par la Maison Bélier Musique à Chambéry, que je tiens à saluer ici pour son travail formidable. Les touches son en ivoire et en ébène, la table d’harmonie en épicéa et le cadre en fonte.

Le piano offre des possibilités infinies et un son remarquable. Il permet de voyager dans tous les univers, mais comporte deux défauts: la difficulté de son transport… et sa forme, qui fait rempart avec le public.

C’est pourquoi, bien qu’il soit mon instrument de prédilection, je ne l’utilise que très rarement dans les contes, et encore faut-il que la salle soit équipée d’un piano mécanique (je ne joue pas sur des pianos numériques). Cependant, bien qu’invisible, il a une place centrale dans mon travail car il est un instrument de méditation artistique qui me permet d’entretenir et de développer ma sensibilité artistique ainsi que mes univers musicaux.

La guitare est sans nul doute l’instrument à corde le plus populaire au monde. Souvent utilisée en accompagnement au chant, la guitare convient parfaitement pour accompagner les contes, et elle a l’avantage d’être un instrument polyphonique et harmonique aisément transportable.

Cependant, la popularité même de l’instrument fait qu’il invite moins au voyage, au rêve, qu’un Charango ou un Merlin qui comportent déjà en eux une part d’exotisme.

Mais la recherche d’accords inhabituels et de gammes peu usitées me permet de l’utiliser sur certains spectacles dans des contes où elle a su trouver sa place (parfois ce sont curieusement les histories qui, pourrait-on dire, « choisissent leurs instruments »).

Le tambour océan

La flûte ténor

Il est bien difficile de retrouver l’origine du tambour d’océan. On dit qu’il provient d’Amérique du Nord. C’est un instrument à percussion composé d’un cadre de bois recouvert de peaux de chèvres et à l’intérieur duquel on a placé de petites billes de plomb. Il est souvent utilisé en musicothérapie pour son son apaisant et très évocateur.

Cet instrument de conteur a de multiples usages: créer de l’écho pour faire une voix tonnante, déclencher des rythmes ou reproduire de façon étonnante le bruit de la mer, jusqu’à nous faire sentir le souffle des vagues! Le tambour océan est également un adjuvant de taille pour mimer lors des contes.

Il est rare que l’on ne le croise pas dans l’un de mes spectacles.

La flûte à bec est un instrument monodique qui a plusieurs tailles et plusieurs tonalités : sopranino, soprano (la flute « classique », jadis utilisée au collège), alto, ténor, basse. Ici, il s’agit d’une flûte ténor en érable, au doigté baroque, avec une double clef. La difficulté de cet instrument réside dans la maîtrise de volume d’air insufflé duquel dépend la justesse de la note et la tonalité rendue.

La flûte ténor permet de produire un son grave et apaisant. Elle peut être très utile pour de nombreux bruitages, tels les chants d’oiseaux. Elle permet aussi des transitions musicales entre différentes parties d’un conte.

L'harmonium indien

L’harmonium est un instrument à vent, à hanches libres et à clavier (comme le mélodica). Il fut inventé par un Français au XIXème siècle, mais il avait alors davantage l’allure d’un piano, puisque l’on activait son soufflet avec les pieds. Les Indiens ont adapté l’instrument à leurs coutumes : pour eux il est avilissant jouer avec les pieds, alors ils ont déplacé le soufflet à l’arrière de l’instrument, afin que l’on puisse l’activer avec la main.

L’harmonium indien est extrêmement intéressant dans les contes et ce, pour plusieurs raisons. La première est qu’il produit un son qui amène à un état hypnotique : c’est pour ses facultés à conduire à un état onirique de contemplation qu’il est utilisé, en Inde, pour accompagner des chants de dévotions (les kirtans). La seconde, est que l’harmonium permet de produire facilement des bourdons, et, en l’activant avec la cuisse, il m’offre la possibilité de jouer plusieurs instruments à la fois, ce qui peut être très intéressant pour certains passages de contes où la voix se tait et où la musique se substitue à la parole pour prolonger le travail imaginaire des spectateurs.

pourquoi conter, pourquoi écouter des contes ?

La transmission d'une culture millénaire

Je crois que nous avons le devoir de conter.

Les contes sont des trésors que les anciens ont déposés entre nos mains pour faire usage de leurs richesses.

Il faut venir puiser à ce trésor des temps anciens pour le partager à notre tour, et à notre manière.

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Le conte, une médecine douce?

Ce n’est pas pour rien que mes contes comportent des instruments de musicothérapie. Le conte a des vertus curatives:

Lutter contre l’uniformisation culturelle de la mondialisation

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Telle qu’elle s’est faite, la mondialisation provoque une véritable désagrégation des cultures au profit d’une sorte de culture internationale sans âme, qui ne fait plus rêver et qui, même, au fond, effraie plutôt. C’est la civilisation mécanique, le règne de l’individu, la réduction de l’existence à une consommation sous toutes ses formes, le dédain du Rêve, du Sacré, de l’Art, qui se trouve trop souvent réduit à une « activité artistique ».

Le conte nous plonge avec délices dans des mondes lointains et exotiques et qui, pourtant, malgré tout ce qui oppose les civilisations lointaines, nous parle toujours; et mieux que tout autre chose, peut-être. Pourquoi? Parce que les contes traditionnels sont proprement universels en ce sens que leur contenu possède des éléments qui sont intrinsèques à l’être humain. Ils sont un outil essentiel pour rappeler à nos contemporains que jadis, le monde était fait d’une mosaïque de civilisations et que, s’il fut autrefois différent, il est possible qu’un jour prochain, il le soit aussi.

Les contes opposent donc une pluralité de cultures contenant le trésor de la sagesse humaine à une pseudo-culture universelle qui n’est au fond qu’une coquille creuse. 

Renouer avec la nature

On n’a jamais autant parlé d’écologie qu’à notre époque et pourtant, nous n’avons jamais autant pollué… Le danger de ce comportement contradictoire est de nourrir une hypocrisie générale qui n’arrange en rien les choses.

Les anciens et les peuples lointains n’ont pas eu besoin de penser le concept d’écologie pour vivre en harmonie avec leur environnement. Le contact avec la nature  nous fait la connaître, et cette connaissance se transforme aisément en amour, car le monde est beau et que, par nature, l’être humain aime le Beau.

Par leur puissance évocatrice, les contes assurent une rencontre magique avec la nature, en la présentant sous son jour merveilleux pour restaurer ce contact perdu, cet enchantement que le monde moderne a brisé.

Il y a du merveilleux dans notre quotidien.

« Le monde paraît sombre, pour qui a les yeux fermés » Proverbe indien

Eveillez votre sensibilité en recherchant les visages cachés dans ces photos…

Retrouver ou nourrir le sens de l’innocence

« To see a World in a Grain of Sand                                                    
And a Heaven in a Wild Flower:                                                  
Hold Infinity in the palm of your hand  

          
And Eternity in an hour. »   

 William Blake, Auguries of Innocence.

« Découvrir le monde dans un grain de sable

Et le Paradis dans une fleur sauvage:      

Faire tenir l’Infini dans la paume de sa main  

Et l’Eternité dans une heure. »

William Blake, Prémices d’innocence (traduction personnelle).

S’il y a quelque chose qui demeure trop souvent au pays de l’enfance, c’est bien le sens du Merveilleux. Chez l’enfant, ce sens est intimement lié à son innocence, comme le montre William Blake dans le poème ci-dessus. Ce n’est pas « grandir », que de perdre ses rêves: c’est se désenchanter. Le Rêve fait partie intégrante du Réel, car, au final, la vie est surtout intérieure.

Les contes proposent aux adultes de retrouver, l’espace d’un instant, cette magie qu’ils ont peut-être un peu perdue. Et chez les autres, chez ceux qui l’ont conservé –qu’ils soient adultes ou enfants– elle leur permet de la nourrir et de la développer.

 Je me souviens, lors d’un spectacle, d’un adulte que j’avais remarqué dans la foule, parce qu’il semblait complètement béat. A la fin du spectacle, il est venu me voir et m’a remercié en me disant qu’il s’était senti comme un enfant. C’est seulement là que j’ai su que mon conte était réussi. 

« La tristesse naît au point culminant de la joie, les Hommes disparaissent et les choses changent d’aspect.                                  Au final, tout n’est qu’un songe ».

Cao Xuequin, Le rêve dans le pavillon rouge, ed.La Pléiade, Gaillimard.

Répertoire et procédé créatif

La plupart des contes qui constituent mon répertoire sont des contes de fées traditionnels.

Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de « contes pour enfants », puisque, en réalité, ils étaient écoutés en commun, en des temps et des lieux où, plutôt que de séparer adultes, vieillards et enfants, on cherchait au contraire à rassembler les êtres humains.

 

Ainsi, ces contes fonctionnent par un effet d’aspiration par le haut: chacun trouve des choses à y puiser, selon son âge, son goût et son développement personnel. Mais toujours, toujours, réside dans ces contes une part d’inexplicable, d’inaccessible, même pour le conteur; un mystère qu’il ne peut que transmettre, comme un aveugle donnerait une pièce d’or qu’il peut sentir mais qu’il ne peut pas voir; et c’est cela, selon moi, qui est le plus essentiel; cette part d’indicible qui renferme toute la vitalité du conte.

 

Ces contes sont des contes de fées. C’est à dire qu’ils traitent tous du passage dans un autre monde, le monde des fées, du Merveilleux. Ce voyage dont ils traitent est en même temps vécu par le public, puisque, au final, le Pays des Fées, n’est-il pas un état dans lequel on peut se plonger?

La genèse d’un conte: l’exemple du Ramayana

J’ai découvert le Ramayana à même les bas reliefs d’Angkor vat, au Cambodge, où il m’a été conté. J’ai alors relevé les bas relief et l’histoire en quelques notes sur mon carnet de voyage.

De retour à la maison, j’en ai fait une histoire d’ombres, toujours à partir de ces mêmes bas-reliefs. Rapidement, la musique est venue s’ajouter à l’histoire.

C’est la confection des ombres et donc les bas-reliefs d’Angkor-Vat qui ont déterminé les grandes étapes du conte, tel que je le présente aujourd’hui.

L’immersion

Pour conter, je voyage dans l’histoire, jusqu’à ce qu’elle devienne un véritable souvenir. Mais l‘imagination n’est qu’un puzzle. Essayez d’inventer une couleur qui n’existe pas. C’est impossible. Tout ce que l’on « invente » n’est qu’une composition réalisée à partir d’éléments du Réel que l’on juxtaposent entre eux. C’est la raison pour laquelle on retrouve la racine latine « trobar », qui signifie « trouver », dans le terme « troubadour ». Au Moyen Age, le troubadour, c’est celui qui trouve…

Ainsi pour conter, j’ai besoin de me nourrir du Réel, de lire les textes, bien sûr, mais aussi et surtout d’explorer les époques, les lieux. Cela peut passer par du travail de terrain: voyages, archéologie, surtout expérimentale : s’essayer aux Arts d’un époque, pour aller sa rencontre, et pouvoir en restituer l’âme.

L’éveil de l’état poétique

Conter, pour moi, c’est surtout être capable de se mettre dans ce que j’appellerais : « l’état poétique », un état dans lequel le Merveilleux est accessible à l’Homme.

Cet état se caractérise par une sensation de dilatement du temps, et d’inspiration profonde, ce que l’on peut rapprocher de ce que le docteur Mihaly Csikszentmihalyi a dénommé : le « Flow ».

Des exercices quotidiens visant à nourrir l’imaginaire et à renforcer les facultés contemplations facilitent l’accès à cet état.

En spectacle, cet état est ensuite partagé par le conteur avec le public, qui se retrouve, hors du temps, entièrement « plongé dans l’histoire ».